« Que les étrangers apprennent de nous et pas l’inverse »
Hinaleimoana Wong-Kalu était l’invitée d’un Inside the doc ce mercredi au Fifo. Coréalisatrice et narratrice du film en compétition, The healer stones of Kapaemahu, c’est avec une voix forte et les yeux embués qu’elle a expliqué avoir voulu appeler le peuple polynésien à se lever.
Réalisé par Dean Hamer, Joe Wilson et Hinaleimoana Wong-Kalu, The healer stones of Kapaemahu raconte l’histoire de quatre individus extraordinaires venus de Tahiti jusqu’à Hawaii pour partager leur don de guérison. Sur le paepae a Hiro, il y a eu beaucoup d’émotions pour le Inside the doc auquel Hinaleimoana Wong-Kalu était invitée. Elle n’est pas une inconnue au Fifo car un documentaire lui avait été consacré : Kumu Hina, qui avait reçu le prix spécial du jury et le prix du public en 2015. « Je ne présente pas mon travail avec l’intention d’être en compétition avec qui que ce soit mais avec l’espoir qu’il touche le cœur de quelqu’un, avec toutes mes capacités, et l’attente que mes tupuna apprécient et m’encouragent à continuer. » En 2022, un court-métrage d’animation avait raconté l’histoire des pierres de guérison de Kapaemahu, rentré dans le Top 10 de la sélection aux Oscars. Cette année, c’est la même histoire qui est racontée mais en version longue dans un documentaire en compétition. Mais l’idée du documentaire a germé dans l’esprit de Hinaleimoana Wong-Kalu, il y a longtemps. « L’école où j’étais était un endroit à l’enseignement occidental et c’était difficile d’être moi-même à ce moment-là. Quand je suis arrivée à l’université, ça a changé. J’ai rencontré des personnes qui m’ont aidée à élever ma compréhension du monde hawaiien. » Des années où Hinaleimoana Wong-Kalu apprend à s’accepter et comprend que le mahu est une part normale de la société polynésienne. « Je n’avais pas à être quelqu’un d’autre. »
« L’histoire de Kapaemahu nous a été racontée pendant mes études et je ne l’ai jamais oubliée. Je l’ai raconté à mon équipe (Dean Hamer et Joe Wilson) et ils ont pensé que cette façon de la raconter était fascinante. » Pendant une dizaine d’années, ce projet reste secondaire, ce n’est que ces dernières années que leurs recherches et leur travail vont se concentrer sur ce film. Il a fallu quatre ans à l’équipe pour réaliser le documentaire. « J’ai dit à Dean et à Joe que nous devions prendre le temps, que cette histoire devait rester centrée sur la dignité et le respect de l’histoire racontée par les ancêtres. » Hinaleimoana Wong-Kalu a dû faire un effort difficile pour venir jusqu’au Fifo car elle s’occupe de sa mère et a dû la confier à des proches. Une épreuve pour elle mais une nécessité car elle voulait ramener l’histoire sur sa terre originelle. À travers ce documentaire, elle appelle le peuple polynésien à se lever : « Nous devons être forts, nous devons nous rappeler qui nous sommes, notre façon de vivre, nos us, nos coutumes, notre langue. Pour mon peuple, tout devient un combat politique et économique. Nous devons nous battre tout le temps pour notre dignité. Le respect des occidentaux nés à Hawaii ne va pas plus loin que le bord de leurs lèvres. Mon objectif est que, nous, peuple polynésien, arrêtons de résister mais allons de l’avant et insistons sur qui nous sommes. Que les étrangers apprennent de nous et pas l’inverse. » En larmes, Hinaleimoana Wong-Kalu explique avoir vu plusieurs documentaires ici : « C’est toujours la même histoire, les étrangers viennent et nous traitent mal. Mais c’est fini ! » Hinaleimoana Wong-Kalu conclut en espérant que son travail inspirera d’autres Polynésiens à prendre la parole et raconter leur histoire.
The healer stones of Kapaemahu
« Je veux que l’histoire de ma terre natale soit exacte. Ce n’est pas l’étranger qui m’enseignera l’histoire de mon peuple, c’est moi qui l’enseignerai à l’étranger. » Cette parole de Samuel Mānaiakalani Kamakau, grand historien hawaiien, Hinaleimoana Wong-Kalu l’a faite sienne. De sa voix grave et profonde, elle raconte l’histoire étonnante et fascinante des pierres de guérison de Kapaemahu, illustrée de magnifiques images animées. Quatre individus extraordinaires traversèrent le grand océan depuis leur terre natale Tahiti pour arriver à Hawaii. Ils s’installèrent à Ulukou, à Waikiki. Ils étaient grands, avaient la voix grave, n’étaient ni masculin, ni féminin. C’était des mahu. Ces visiteurs avaient le don de la guérison. Kapuni avait le pouvoir spirituel, Kinohi était omniscient, Kahaloa pouvait guérir à distance et Kapaemahu utilisait l’apposition des mains. Ils transmirent ce don à la population hawaiienne, qui, pour les honorer et les remercier, transporta quatre grands rochers jusqu’à Waikiki. Les guérisseurs transférèrent leur pouvoir aux pierres. Viennent les images d’archive avec l’histoire contemporaine. Ces pierres vont petit à petit être englouti par la colonisation américaine. Remise à jour par un gouverneur puis enterrées dans les fondations d’un bowling pendant 30 ans avant d’à nouveau retrouver le jour. Un site public leur est consacré avec une plaque racontant leur histoire mais elles sont vandalisées, aspergées de peinture rouge. On les croit ensorcelées, le symbole du « passé barbare » des Hawaiiens. L’histoire est même déformée pour arranger la pensée occidentale de l’époque : on ne parle plus des mahu mais de deux hommes et deux femmes. En 1997, les pierres sont à nouveau restaurées et le site clôturé pour éviter que les gens s’appuient dessus ou y laissent leurs serviettes à sécher. Aujourd’hui, ces pierres sont visibles de tous mais il y a toujours de l’ignorance et de la désinformation, regrette Hinaleimoana Wong-Kalu.
Rappelons que le genre et le transgenre en Océanie est un des thèmes qui a incarné ces vingt années du Fifo et une soirée spéciale est programmée ce jeudi avec la rediffusion de Kumu Hina et du court-métrage The Rogers.
Lucie Rabréaud – FIFO